Jusqu’à la fin, chaque être est comme un chantier, en perpétuelle transformation, mais quand on a dix-neuf ans on est encore si peu formé, si naïf — même si l’on veut croire le contraire à toute force — que l’on ne saisit guère les complexités de l’existence. Vous pouvez faire l’existence du deuil à un très jeune âge, et cela a été mon cas, mais la compréhension la plus profonde de ce qu’est la perte d’un être cher n’acquiert toute sa dimension qu’avec le temps : c’est alors que vous commencez à réfléchir sérieusement à tout ce que vous n’avez pas accompli, tout ce qui se teinte de regret, tout ce qui donne à la vie cette impression d’incomplétude. A ce moment, vous comprenez que les années filent de plus en plus vite, que faire du surplace est certes la solution la moins risquée mais qu’elle vous a rendu statique. Alors vous vous dites qu’il est temps de croquer la vie à pleines dents.
Est-ce qu’un week-end peut suffire à faire basculer la vie de quelqu’un ? Une rencontre fortuite peut-elle bouleverser une existence qu’on croyait immuable ? A quoi sommes-nous prêts pour saisir le bonheur lorsqu’il passe ? Telles sont les questions posées par Douglas Kennedy dans son dernier roman, sobrement intitulé Cinq Jours.
Laura, la narratrice, est manipulatrice en imagerie médicale et, à 40 ans, se rend compte qu’elle a perdu son détachement professionnel : toutes ces vies brisées en l’espace d’un rien, d’un scanner qui révèle que tout est terminé, l’amènent à réfléchir sur sa vie à elle, et ses regrets. Engluée dans un mariage qui ne la satisfait pas, lancée sur une autoroute dont elle voudrait sortir, elle se sent finalement très déprimée. A l’occasion d’un séminaire professionnel à Boston, elle fait la connaissance de Richard, un vendeur d’assurances lui non plus pas très satisfait de sa vie. Cette rencontre, c’est peut-être le coup de pouce du destin dont ils avaient besoin pour reprendre en main leur existence…
Loin des clichés auxquels le résumé pourrait faire penser, Douglas Kennedy, avec ce roman, nous propose une méditation d’une grande sensibilité sur le bonheur. Ce que la vie fait de nous, la manière dont nous cédons peu à peu au principe de réalité, même s’il ne nous satisfait pas — avant de nous rendre compte un jour que le temps passe vite et que tout peut basculer du jour au lendemain. Comment faire face alors à cette déception, aux choix que nous avons fait "faute de mieux" et qui nous ont enfermés dans une routine. Thème classique, mais subtilement traité par l’auteur qui choisit un point de vue féminin. Il y a dans ce texte beaucoup de mélancolie, mais aussi un petit grain de folie, avec cette impression que tout peut changer. Les mots, les phrases font mouche et résonnent longtemps, et il se dégage de ce roman, tissé de références littéraires, beaucoup d’émotions. L’auteur en profite pour écorner au passage, comme à son habitude, le culte américain de la culpabilité et du sacrifice : le Maine, berceau du puritanisme, aux paysages pourtant paradisiaques, apparaît ici comme étouffant et englué dans ses valeurs mortifères.
Un très beau roman, émouvant et subtil, qui pose les bonnes questions et conduit le lecteurs à de profondes réflexions !
Cinq Jours
Douglas KENNEDY
Belfond, 2013
9/12
By Hérisson
Classé dans:Elle lit... des romans Tagged: amour, bonheur, Douglas Kennedy, rentrée littéraire