En ce moment avec mes élèves je travaille sur le thème du bonheur. Un joli thème évidemment, mais complexe, car au fur et à mesure où nous lisons les textes, force est de constater que chacun ne met pas la même chose dans cette idée. C’est un peu comme une recette où personne ne mettrait les mêmes ingrédients.
Il y a celui (Pascal) qui place le souverain bien dans la foi et estime qu’hors de Dieu, point de bonheur. Il y a ceux (les stoïciens) qui ne voient le bonheur que dans l’absence d’émotions. Ou bien ceux (les épicuriens) qui rêvent d’une vie simple et paisible, à l’écart du monde.
Il y a Voltaire, qui est un peu pénible parce que, selon les textes, il ne dit pas la même chose. Dans Le Mondain, il fait l’éloge de la jouissance des biens terrestres et matériels.
Et puis, il y a un groupe hétéroclite qui va de Montaigne à Alain en passant par Rousseau et bien d’autres, qui frôle le bouddhisme et autres philosophies zen : le bonheur de l’épiphanie de l’instant présent, celui où, en parfait accord avec la nature, tous les sens en éveil, on est pleinement dans l’ici et maintenant, sans regretter le passé, sans craindre l’avenir, tourné vers soi. Oui, ces auteurs sont dans la méditation, finalement, mais un peu comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
Malgré tout, je ne trouve pas mon bonheur dans ces conceptions du bonheur. Oh, c’est joliment dit, et c’est parfois d’un lyrisme bouleversant (chez Camus, qui l’eut cru ?), mais pour moi, il manque quelque chose. Ces moments épiphaniques d’intenses révélations, où l’on est en harmonie parfaite avec le monde qu’il nous semble tout à coup comprendre parfaitement, c’est magique. Mais c’est fugace, et rare. Ou alors il ne faut pas être très exigeant, si l’on parvient à savourer chaque instant présent. Il y a, oui, des moments qui méritent qu’on les vive pleinement ; d’autres moins. Et puis, en tant qu’écrivain, j’ai du mal avec l’ici et maintenant : moi, ma substance, ma sève, c’est le passé, le présent irréel, parfois le futur ; beaucoup plus rarement le présent réel, encore qu’il m’arrive de noter certaines choses. Mais si on le note, est-on toujours dans ce présent ? Ou à côté ? Du reste, le temps est un concept relatif, et le présent existe-t-il vraiment ? Mes seuls vrais moments d’épiphanie, c’est lorsque j’écrits ; et, là, le temps n’existe plus du tout.
Et, du reste, est-ce ça, le bonheur ? Je l’ai dit, ces moments sont brefs, évanescents. Et, même s’il n’est pas éternel, il me semble que pour pouvoir dire qu’on est heureux, il faut que ce bonheur soit un état un minimum stable. Le moment parfait, celui où on savoure une coupe de champagne en regardant le coucher de soleil sur l’océan par une douce soirée d’été au Cap-Ferret, est un moment de joie intense, de bien-être, de plénitude éventuellement, d’extase pourquoi pas. Mais pour moi, ce n’est pas ça, le bonheur.
Le bonheur, ce n’est pas l’accumulation de petites choses qui font du bien : manger des macarons, photographier de beaux paysages, voyager, lire un bon livre, boire un verre avec ses amis, rêver au soleil. Tout cela, c’est un peu des cerises sur un beau gâteau, ou, selon les cas, une compensation.
Mais je suis étonnée de ne trouver chez aucun auteur (en tout cas pas de manière développée) cette idée qui est pourtant la mienne, que tout ça c’est bien beau, mais que seul l’amour procure le vrai bonheur.
Et pour vous, c’est quoi le bonheur ? (je sais que certains ne seront pas d’accord avec moi…)
Classé dans:Elle se réfléchit dans le miroir Tagged: bonheur, philosophie, plaisir